Extrait n°2 : Le Cobalt
- Mila Blackwater
- 26 janv.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 janv.

Tout en haut du mât, dans le nid-de-pie, le garçon essaya d'apercevoir à nouveau la faible lumière qu'il avait vu, il y a à peine un instant, virevolter. Il en était sûr, il y avait à l'horizon un navire, ou mieux encore une baie calme qui les attendait entre deux montagnes. Il cligna des yeux pour chasser l'eau qui lui ruisselait sur le visage et lui brouillait la vue : il pleuvait depuis peu mais la tempête était tellement forte qu'il était déjà trempé jusqu'aux os.
Judi s'accrochait tant bien que mal à la paroi, il était transi de froid et ses doigts glissaient sur le bois mouillé. Il scrutait toujours l'horizon à la recherche de la lueur, mais n'aperçut bientôt plus que le creux d'une vague. Le navire avançait en cahotant, il avait gravi toute la hauteur de la vague poussé par la tempête et ne redescendait que plus dangereusement. Judi serra le rebord aussi fort que ses doigts engourdis le permettaient et pris sa respiration.
Le choc du bateau contre l'eau le projeta violemment sur le côté, et la vague suivante déferla. Elle engloutie tout sur son passage et lorsque le garçon fut balayé de son perchoir il se dit qu'il devait en être de même pour les matelots restés sur le pont. Il sentit sa cheville se coincer dans quelque chose, sûrement un cordage. Cela pouvait aussi bien lui sauver la vie que le noyer. Judi ferma les yeux sous l'eau et se laissa aller en arrière. Tant pis il n'allait pas s'épuiser à défaire le lien, c'était son destin...
***
Olaf sorti son poignard et le mit entre ses dents pendant qu'il grimpait sur le mât pour aller raccrocher les voiles emmêlées. A travers la pluie battante il remarqua une forme non loin de la vigie, qui semblait inerte. Il n'y prêta pas attention sur le coup mais une fois arrivé à sa hauteur il distingua très nettement une mèche blonde où s'était reflétée une étrange lueur. « Dans quel pétrin s'est encore fourré le gosse ? » murmura Olaf tout en de déplaçant dans les filins soigneusement, bravant les rafales.
Prenant appui sur le bois trempé du nid-de-pie, il se pencha en avant pour empoigner Judi, mais le bateau se déplaça si soudainement sur tribord que le marin faillit basculer la tête la première. En fin de compte lorsque le bâtiment se redressa, le corps inanimé du garçon se balança de l'autre côté, permettant à Olaf de l'attraper par la taille et de le hisser vers lui.
Une fois bien installés au fond du poste du guetteur, il trancha les derniers liens enroulés autour du garçon. Il lui mit quelques claques pour le forcer à se réveiller mais ne parvint même pas à lui arracher un gémissement. Alors qu'il levait les yeux au ciel de désespoir, il aperçut, médusé, deux énormes ombres au dessus du navire. En clin d'oeil Olaf était debout et se penchait par dessus le rebord pour voir le timonier : c'était Dockert !
« Eh Doc ! Fais gaffe, terre droit devant ! » hurla le matelot de toutes ses forces pour qu'à l'autre bout du pont l'homme qui maniait si habilement la barre l'entende malgré tout ce vent.
Mais qu'importe qu'il l'ait entendu ! Olaf savait très bien que c'était inutile ; en effet rien n'échappait à l'oeil expérimenté de Dockert, et cela ne faisait aucun doute, il avait dû repérer une brèche entre les falaises assez large pour faire passer tout le bateau. Judi ne se réveillait toujours pas, et le marin s'assit à côté de lui tout en regardant les hautes et sombres façades de roche qui s'élevaient de part et d'autre du bâtiment. Le timonier le maniait si bien qu'en dépit de l'orage et de la nuit il se faufilait dans le passage d'une façon tout à fait incroyable. Olaf n'aurait jamais pensé que le Cobalt était capable de telles prouesses. Déjà la tourmente s'éloignait au fur et à mesure qu'ils avançaient.
Alors que le jour commençait à pointer, le marin redescendit du nid-de-pie avec son compagnon sur l'épaule et le déposa dans un coin du pont, là où il ne gênerait pas les manœuvres de l'équipage. Tout les hommes en état étaient au travail. Jamais le Cobalt n'avait connu pire coup de grain et les dégâts étaient importants. Les voiles avaient été déchirées par le vent, le pont était couvert d'écume, le fret stocké sur le pont s'était éparpillé partout, certains des tonneaux étaient passés par dessus bord emmenant avec eux un morceau du bastingage. Certains des matelots rangeaient le pont et ce qui traînaient, mais la grande majorité était perchée dans la mâture. Le second hurlait ses ordres à côté du capitaine Caine et tous obéissaient vivement. Il envoya cinq hommes pomper l'eau que les cales avaient avalé et dit à Olaf d'aller vérifier les cargaisons.
« Où est le mousse ? grogna Cork, le second.
- Il a perdu connaissance tout à l'heure, je l'ai mit par là, fit Olaf avec un grand geste vague.
- Ah, d'accord ! Vous le secouerez plus tard. »
Le marin s'éloigna vers l'autre bout du pont en marmonnant. Pourquoi est-ce que c'était toujours à lui de veiller sur ce marmot ?
Olaf ramassa les barils d'épices et ceux de soie, les rangea dans l'emplacement prévu, les réarrima solidement et poussa un long soupir. Il retourna là où il avait déposé Judi, le travail n'était pas terminé (il y avait toujours du travail à bord d'un navire !) et il pensa tout haut : « Une paire de bras en plus ne sera pas de refus avec le boulot qu'il y a ! »
Il attrapa en passant un seau plein d'eau de mer que lui tendait un vieux matelot et alla secouer le jeune garçon. Il le remua de nouveau, s'impatientant, puis il approcha sa tête de celle de Judi et hurla : « Diantre ! Moussaillon si tu ne te réveilles pas sur le champ le seau que j'ai à la main va finir sur ta tête ! » Mais avant de terminer sa phrase il déversa tout le contenu du récipient sur le garçon déjà trempé. Judi ne fit qu'un bond. Totalement éberlué il regarda autour de lui : Olaf était accroupi à côté et riait aux larmes.
« Une baie ! Que le diable m'emporte si je n'le savais pas ! » s'exclama le garçon en se remettant vivement debout. Le matelot cessa immédiatement de rire, son expression devint menaçante. Il se redressa de toute sa hauteur. C'était un homme à la carrure imposante, sa peau était brûlée par le soleil, ses cheveux et ses yeux étaient noirs, caractère montrant qu'il était originaire de l'Ancien Pays ; et à cet instant il ne valait mieux pas le contrarier une nouvelle fois.
« Dis donc gamin, faut-il te rappeler que le rôle de la vigie est d'ouvrir l'œil et de dire à l'homme qui tient la barre tout ce que tu aperçois ? Si tu avais vu ces montagnes il fallait le dire! Maintenant trouves du boulot ou bien c'est moi qui vais t'en donner. » Il tourna les talons et reparti vers les cales.
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